Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
STRATÉGIE D'UNE PASSION

De: NG
Envoyé: lundi 11 août 2003 10:50
À: 3333
Objet: Passion 1

J'ai le projet d'écrire un livre en t'adressant des lettres. C'est un excellent prétexte permettant de dire tout, érotisme, philosophie, amour, corps, humeurs. Je serai directe, pas d'obligation de narration. Peuvent se rejoindre textes et authenticité, ma visée : chercher les fondements d'une passion, je développerai ceci plus loin. Le courrier sera un moteur pour mon écriture, l'inspiration y naît directement de la réalité et j'endigue un débordement sentimental, le rendant utile pour moi-même, lui donnant une autre raison. Je m'amuse, faisant ce qui me plaît : exister, me promouvoir, m'affirmer. J'étais en manque d'inspiration, elle me vient au galop.


De: NG
Envoyé: lundi 18 août 2003 06:50
À: 3333
Objet: Passion 2

Tes lettres seront comme un tremplin d'où je peux rebondir. Le terme de rebondir convient exactement à cet état de nervosité que je ressens dans mon corps, face aux évènements. Même en écrivant, la tension musculaire, par la colère, est profondément dans ma chair, me crispe. Imaginons une piscine et un tremplin, mes muscles vivent, ils sont tendus, enflés, je plonge. Je m'élance avec cette même gymnastique dans ces lettres que je t'adresse : tout vibre en moi, tout gonfle, tout chahute. Pourtant, c'est à ton corps que j'aimerais imposer cette fougue, dans un acte érotique : te clouer au lit, te crucifier dans des draps blancs afin de mieux t'aimer, en grande vigueur de mouvements et d'actions.
Je serai peut-être prolifique, trop pour que tu puisses me lire dans les conditions réduites d'espace-temps dont tu bénéficieras. J'aurai la double activité de t'écrire des lettres que je ne t'enverrai pas et des e-mails que tu auras, où je dirai l'essentiel qui te concerne, rapidement, en abrégé, dans une langue sobre. Ecris-moi chaque fois que tu le pourras. Proses télégraphiques, sms (ique) e-mail (ique) : je laisserai libre champ à toutes mes humeurs. L'écriture sera tempéramentale, emportée, elle ruera dans les brancards, je la sens rageuse. À ce prix : je suis comme un chien furieux, j'avais trouvé un bel os (toi), on me le retire. Je grogne, je voudrais mordre.


De: NG
Envoyé: mardi 19 août 2003 07:55
À: 3333
Objet: Passion 3

Il me fallut peu de temps avant que mes instincts, survenus de nulle part ou d'un lieu inconnu, me fassent essayer ton corps. Parce qu'elle était gaie, joyeuse, la violence dont j'usais, lui apportant une maîtrise d'expression, m'exaltait.
Tel un jeu de cartes, le même personnage tiré en de multiples exemplaires, sous des angles de vues différents, jonche la table de mon salon. La passion m'assaille. Mon coeur est congestionné par l'empressement, la respiration passe mal. Je connais ce corps pour l'avoir photographié un W.E. à l'étranger, l'avoir embrassé de baisers étourdis, en avoir écouté la sonorité envoûtante. Je connais cette chair pour avoir eu le désir de la déchiqueter, pour l'avoir brutalisée comme on malmène lorsque la volupté est excessive et vous traverse tel un orage, pour avoir usé de ma force et de ma puissance, pour avoir abusé cette chair consentante, qui aimait les abus qu'on avait d'elle, pour n'avoir pas dormi. Et sans sommeil, l'avoir parcourue dans l'aveuglement, avec un cerveau sans repos qui se survit à lui-même. Mon corps se débattait, inaccessible à sa fatigue, répétant la frénésie cannibale de la faim de chair, danse ensorcelante pour celui qui la danse. Sans cesse, durant l'étoilement nocturne du désir, se répandait l'énergie déployée avec de faibles trêves, des moments de récupération qui encore voulaient toucher la chair. Il fallait que les corps se juxtaposent, que l'acharnement guerrier d'un corps s'emballe sur un autre. Il fallait dormir et attendre que la lumière se fasse jour. Cependant, l'éclat diurne répétait inlassablement les vestiges de la nuit.


De: NG
Envoyé: samedi 23 août 2003 09:30
À: 3333
Objet: Passion 4

Je suis de mauvaise humeur, on me retire le morceau de viande où mes dents s'étaient enfoncées. L'attente est contraire à mon tempérament! Ma drogue : la volupté. Ta saveur me reste en bouche : j'eus aimé en user à ma guise. Cette perspective de distance dans le temps n'enchante guère.
J'espère tenir ma discipline athlétique quotidienne : temps et énergie me sont nécessaires. Ma puissance physique fait partie de ma vie, il m'importe de continuer de l'incarner. Ce corps a aussi une démarche romantique, comme tu l'as pressenti, il est exalté, il s'enthousiasme de ses ferveurs.


De: NG
Envoyé: lundi 25 août 2003 23:50
À: 3333
Objet: Passion 5

La volupté me taraude. La disposition de ton corps m'a échappée après deux jours seulement. Privée de lui et sinistre chaque fois que je suis sans acquisition charnelle, je me rends là où je peux jouir de voir. Il y aurait la saisie d'une queue. Ceci ne prend un sens véritablement troublant que si un homme, dans sa bouche, déglutit une autre queue. Ivre de cette nourriture des Dieux, capricieux, ombrageux s'il en est privé, avide, s'il la possède, de la détenir pleinement, de l' engouffrer de plein sens épanouis : dans les muqueuses de la bouche, l'organe magique, lors que la pilosité des couilles caressent son menton. Et ceci est boisson rafraîchissante qui donne vie. Gaîté des instincts, non pas rassasiés mais animés, caresse de l'été en son enveloppant moelleux, caniculaire. Me transportent les passants mâles et femelles : rêves et amorces à de nouvelles vies, insertion pour mon oeil voyeur et jouisseur, et une façon de plus de ne pas s'impliquer. Ne prendre de la vie de l'autre que ce qu'on veut : l'image. Pénétrer la peau, la couleur, l'odeur, ne pas y être, y demeurer, mais glisser, de l'un vers l'autre. Des tremplins encore, d'où j'effectue le saut en solitaire, vers la mer vaste, salée, infinie. Quelque chose m'y épanouit.


De: NG
Envoyé: jeudi 28 août 2003 19:50
À: 3333
Objet: Passion 6

Il suffit parfois de s'asseoir au pas d'une porte pour prendre des images, voler des rêves ou des vies qui coulent devant nos yeux. Il y a le passage sur le pavé bleu et blanc, des pas. Je guette ce qui surgira comme émotion du corps. Mon regard posé sur mon cahier d'écriture et au-delà, sur le trottoir : voilà que circulent des pieds aux ongles vernis de rouge. Rapide apparition et disparition. La beauté fulgurante de pieds cambrés, élevés et maintenus par des lanières, à une semelle de cuir. Eussé-je pu les détailler, en saisir la courbe, le mystère, comprendre ce que ces pieds effleurèrent en moi? Je pouvais les aimer pour eux-mêmes, leur décorum, leur panache, les érotiser, sans même un regard pour le reste, le dessus du corps. Eux seuls suffisaient à ce qu'une sève printanière me monte au corps. Pieds qui furent printemps céleste d'un désir, coulant devant moi.


De: NG
Envoyé: vendredi 29 août 2003 06:50
À: 3333
Objet: Passion 7

Mon univers : celui du désir de gloire et de sentiments qui veulent être satisfaits, et volontiers se montrent excessifs, intransigeants, c'est leur nature. Ils débordent et s'enflamment. Pour peu, ils exprimeraient la tyrannie.
Je me souviens d'un des ravissements de notre W.E., l'image était fort à mon goût : dans un angle de vue serré : le haut de tes cuisses, ton sexe, le bas de ton ventre, et ta pilosité noire abondante. Apparition d'une beauté irrésistible, vertigineuse, dessert appétissant (avec la cerise sur le gâteau) et hypnotisant : la tentation! J'aurais pu aimer cela jour et nuit, jusqu'à l'épuisement. C'est à peu près ce que j'ai fait le W.E. de cette découverte. Les photos, puisqu'elles me restent, laissent voir une couverture de poils noirs sur des fesses fort excitantes, et entre elles.


De: NG
Envoyé: mardi 2 septembre 2003 00:30
À: 3333
Objet: Passion 8

Je n'ai pas idée de ce que tu peux vivre là-bas. Les tensions, les animations perpétuelles sur le terrain, le champ sonore et visuel, le conflit ouvert. À partir du contexte qui est le mien, c'est d'un exotisme absolu. Quant à la rigidité et la discipline extérieures qui te sont nécessaires, jamais je n'en ai ressenti le besoin. Le sentiment d'étouffement a toujours été lié à l'obéissance et je l'ai évité. Mieux me valaient les chemins chaotiques qui me laissaient pleine liberté. Là, me semblait la matière vive de la créativité et surtout de l'Ego, comme si toute obéissance devait me soustraire à moi-même, m'amputer, m'amoindrir. Placer au sommet de mon être un autre être qui dicte et décide fut toujours trop pour ma vanité et mes dispositions. C'est précisément la vanité qui a dicté l'ensemble de mes choix, et l'instinct. J'ai dû appartenir à l'espèce des écrivains tout d'abord par ce défaut, une volonté exacerbée d'expression du Moi, de narcissisme, volontiers d'emphases, de liberté et de paresse à l'égard des tâches ingrates, d'indisciplines et bien sûr l'amour absolu d'un cri de triomphe qui serait celui de ma seule singularité. On connaît ces vices des artistes et leurs caprices de rois.
J'étais aussi fascinée par la martialité. Je sentais en moi des énergies puissamment belliqueuses, guerroyantes. Je les vivais dans mon corps tels des ressorts tendus. J'ai voulu en faire une figure de combat, mais finalement, plus vraisemblablement, une esthétique qu'il me fallait intégrer dans la vie de l'art, du sport, de l'érotisme. Ma sensualité devait en être fardée. Mon rapport à l'autre en était teinté par éclairs de feu. Puissance implacable du corps à corps, passion et amour dans les profondeurs par des plongées et des emprises à bout de souffle. Baiser ou tuer cadre avec l'emportement de mes lettres, elles s'écrivent avec l'arrogance vertigineuse d'un sport mortel. Étrange, les doigts sur le clavier de mon Powerbook, j'ai souvent l'énergie et le sentiment de boxer.


De: NG
Envoyé: jeudi 4 septembre 2003 07:17
À: 3333
Objet: Passion 9

J'ai hâte de te voir. Je te désire. Je pressens, émanant de nos rencontres, l'inspiration de mon oeuvre. Je cherchais un détonateur, je venais de terminer un travail, je me sentais un peu stagner, il fallait que quelque chose de nouveau jaillisse sur le papier. Je souhaitais vaguement, sans trop y croire, d'où mes hésitations, qu'un W.E. avec toi pourrait en me distrayant, répondre à mes projets d'action. Mon attention se posait sur les contextes un peu insolites du séjour, les anciens lieux de guerre. Tes lettres m'interpellaient. Ta photographie faisait présager un physique dans mes goûts, agrément non négligeable pour quelqu'un comme moi, qui ai le besoin vital et omniprésent d'un joli corps à aimer, dans ce domaine, pas d'ascétisme! Tout cela s'est produit plus fort que mes prévisions qui ne s'emballaient guère, et retentit encore. Mon ennemi est le temps, je m'impatiente. La sensation du besoin non satisfait énerve. Donne-moi de tes nouvelles, tu as une double fonction, déclenchant en moi des émotions qui font écrire et qui portent à la volupté.
Comment vas-tu?
Je t'embrasse.
P.S.: Je veux à mes côtés ton petit corps que l'on peut manier à sa guise, sur lequel on peut se déployer avec vigueur et sans effort, d'une maîtrise suzeraine. Toujours l'excitation monte, si j'écris ça.


De: NG
Envoyé: vendredi 5 septembre 2003 09:39
À: 3333
Objet: Passion 10

À certains moments, la virtualité de nos contacts me révolte, à d'autres, elle m'apparaît comme la possibilité d'avancer (dans le texte) Pourquoi continuer d'entretenir par la pensée, l'imagination, les sens frustrés, et quelques ébauches de sentiments, quelque chose qui ne donne pas sa part de plaisir et qu'il serait peut-être vain de postposer? D'autre part, les satisfactions que j'en attends avec impatience sont énormes : mon désir est colossal. Dans la seconde catégorie de mes préoccupations, il y a le projet du livre et l'idée d'une éventuelle importance ultérieure de notre relation et, la passion. J'oscille entre cela. Je sautille d'un point à l'autre. Toujours, il m'importe de savoir et sentir que tu te donnes à moi. Même si la relativité de cette offrande à distance, dans un contexte ne le permettant pas intégralement, me contrarie grandement. Ton environnement professionnel sollicite ton attention, je veux plus formidablement te subjuguer. Il s'agit de mes intérêts viscéraux, au sens le plus fondamental de mes instincts de vie. Même dans la tourmente, pense à moi, nuit et jour. Il m'importe d'habiter tes sensations, tes sentiments. Sois en mon pouvoir abusif! Écris-moi. Je réclame de te sentir. Si je ne peux pas voir ta chair, je veux tout au moins par tes lettres, percevoir tes idées et émotions. J'embrasse partout avec fougue, ton joli petit corps.

Copyright © Nathalie Gassel, 2003

 

Pour retourner à la page d'accueil, cliquez ici.Pour consulter le sommaire du volume en cours, cliquez ici.Pour connaître les auteurs publiés dans bon-a-tirer, cliquez ici.Pour lire les textes des autres volumes de bon-a-tirer, cliquez ici.Si vous voulez connaître nos sponsors, cliquez ici.Pour nous contacter, cliquez ici.

Pour retourner à la page d'accueil, cliquez ici.