Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
HITLER N'EST PAS «JEUNE»[1]
PAR MARCEL THIRY

Allemagne, Allemagne, faiseuse de crépuscule!
Emile Verhaeren

EXIL DES BELGES

Ce premier hiver de guerre, nous l'avons passé dans une sorte d'exil de nous-mêmes. Huit mois d'un ciel plus maussade que jamais, comme si le climat avait changé avec la politique, et comme si nos météores aussi avaient adhéré au groupe d'Oslo; un ciel voué au gris sale depuis qu'il était défendu d'y faire flotter en purification un seul drapeau bleu-blanc-rouge. Huit mois de frontières cadenassées, ces frontières qu'on ne savait pas si étroites, auxquelles une voiture rapide vient se heurter en moins de deux heures en sortant de Bruxelles vers n'importe lequel des points cardinaux; huit mois d'aigres controverses sur la neutralité, le neutralisme et le neutralicisme; d'un service militaire ingrat, mi-temps de guerre, mi-temps de paix, avec des inconforts d'armée en campagne et les apparentes inutilités, toujours un peu aveulissantes, de la vie de caserne; huit mois enfin d'une propagande allemande d'abord déguisée, puis tranquillement étalée sur les quatre pages du Pays réel et les douze pages de Cassandre, et qui donnait à ceux qui ont connu l'autre guerre l'impression amère que Bruxelles remplaçait Charleville, et que l'Allemand l'avait choisie pour y publier cette fois sa Gazette des Ardennes multipliée.

LA PROPAGANDE ALLEMANDE ANNEXE LE LOYALISME BELGE

L'angoisse de l'inaction quand se battent nos frères français et nos alliés naturels d'Angleterre; le resserrement de nos façons de vivre, dans notre étroite enclave de paix précaire; ces voix démoralisantes de la radio, avec leurs dépêches Belga d'une neutralité plus que pointilleuse; et, tous les matins, ce même ciel exagérément nordique qui nous faisait plus lointains les printemps d'Ile-de-France, ces épreuves d'un hiver de neutralité n'ont rien été à côté de cette autre : la colère et le dégoût quotidiens qu'il nous faut surmonter quand s'ouvrent sous nos yeux les moniteurs belges du nazisme. Belges : ils se disent tels, ils revendiquent même le monopole du patriotisme belge; et qu'ils puissent le faire, c'est bien ce qui nous emplit de rancoeur non pas contre eux (on cesserait vite de s'indigner de leur monotone infamie) mais contre ceux qui leur ont permis pareille équivoque.
   Car la neutralité, naturellement démoralisante pour un pays qui vibrait encore de ses souvenirs d'il y a vingt-cinq ans, elle n'aurait pas prêté à cette exploitation par les amis et les agents de l'Allemagne si l'on s'était officiellement résolu, dès le premier jour, à prendre position sur le plan moral, à proclamer que si l'on ne faisait pas la guerre, on n'en condamnait pas moins formellement, énergiquement, les entreprises allemandes. On répond que cela n'aurait servi à rien. Mais si; pareille réprobation solennelle aurait enlevé à MM. Degrelle et Colin la possibilité d'abriter leurs tréteaux de bonisseurs hitlerophiles sous l'auvent commode d'un discours royal, et d'invoquer à tout bout de champ la doctrine neutraliste pour répandre en Belgique les thèmes variés de la dialectique nazi. Cette réprobation a manqué; ou du moins n'a-t-elle été prononcée que par des personnages éminents — le cardinal de Malines, le président de la Chambre (et c'était M. Van Cauwelaert!), l'admirable Adolphe Max dont ce fut la dernière grande action, — personnages qui représentaient hautement le pays, mais non le gouvernement. D'où le malaise : l'État parle un autre langage que l'opinion; et ce langage de l'État, les propagandistes pro-allemands, avec leur habileté diabolique, n'ont qu'à le dénaturer de peu, ils n'ont qu'à tirer de ses omissions des déductions positives, pour s'en autoriser quand ils prétendent que les responsabilités se balancent, que les impérialismes se valent, et que la morale internationale n'a rien à voir dans le conflit.

LA PROPAGANDE ALLEMANDE ANNEXE LA JEUNESSE

Cette escroquerie du patriotisme belge, cette utilisation, cette adultération au profit de la paix allemande des paroles et des silences du roi des Belges, ce serait mon plus profond grief contre nos journaux en chemise brune, s'il n'y avait, dans le même genre de fraudes, un détournement peut-être plus grave encore, parce qu'il s'attaque à une notion universelle, au plus pur instinct de l'éthique et de l'esthétique. Il touche à la jeunesse, à l'amour et au respect de la jeunesse. S'adressant aux jeunes, parce qu'il sait que les jeunes sont la force et l'avenir, le nazisme — que ce soit dans sa presse de Bruxelles ou ailleurs — se représente comme une nouvelle jeunesse de l'Europe. C'est une usurpation de plus.
   Elle a été favorisée par des gens de bonne foi. Il y a chez nous des écrivains qui ne sont pas asservis au nazisme, nuance de Lichtervelde-Fernand Maret-abbé Van den Hout, et qui ont abondamment admis que l'Allemagne soit le «peuple qui monte», que son «dynamisme» soit le signe d'une jeunesse triomphante, et que cette jeunesse lui crée des droits à sion au détriment des nations prétendument vieillissantes. Je ne crains pas que les jeunes gens se laissent séduire par un pareil sophisme. Pourtant, parce que c'est la force de la propagande allemande de marteler les imaginations par semblables affirmations inlassablement répétées, parce que nous sommes en guerre et que toutes ces prétentions de l'ennemi doivent se contrebattre, il faut dire et redire pourquoi l'Allemagne n'est pas un peuple qui monte, mais bien un peuple dont la civilisation s'est arrêtée et qui est tombé jusqu'à la forme la plus basse de la communauté humaine; pourquoi les méthodes et le «style» hitlériens n'ont rien de jeune et ne peuvent rencontrer que l'exécration de la jeunesse; et pourquoi cette paix soi-disant blanche à quoi travaillent chez nous les amis de Hitler, cette paix de fait accompli et d'homologation des rapines, ne pourrait avoir que des conséquences odieuses à la jeunesse.

«FAISEUSE DE CRÉPUSCULE»

« Le peuple qui monte...»
   Ne nous attardons pas à nous étonner de voir ce slogan accueilli chez nous dans une Revue catholique des Idées et des Faits, alors qu'on s'imaginerait que, du point de vue catholique en tous les cas, un peuple qui répudie officiellement la doctrine chrétienne devrait plutôt s'appeler le peuple qui tombe. Ne disons pas que s'il suit aveuglément un chef qui ne s'engage que pour se parjurer le plus avantageusement possible, un peuple est déchu moralement au lieu de monter. Ne parlons religion ni morale. Soyons supérieurement réalistes, comme les grands philosophes-historiens qui dissertent dans le Pays réel sur le déclin de l'Occident et sur le gobinisme. Voyons où est monté, voyons comment monte ce «peuple qui monte».
   Prenons-le il y a soixante ans, alors qu'il venait de battre la France, alors que le jeune empire paraissait prendre son plein essor; et mesurons cette ascension qu'on nous vante et qu'il aurait réalisée depuis lors. S'agit-il de la «culture»? L'Allemagne de 1880 n'était plus celle de Goethe et de Beethoven, mais elle était encore celle de Wagner et de Nietzsche. Quels musiciens, quels écrivains nous a-t-elle donnés depuis lors? Il y a les Mann, les Ludwig; ils sont proscrits comme juifs ou comme libéraux; il y a Rainer Maria Rilke : son esthétique est condamnée par un régime qui fait vendre aux enchères de Lucerne les chefs-d'œuvre modernes de ses musées. Les livres non-conformistes sont brûlés, les études sont abrégées, on fait des médecins en trois ans, on abrutit systématiquement l'enfance. Il est vrai qu'il y a le formidable développement de la mécanique sous toutes ses formes; peut-être l'hitlérisme n'est-il lui-même qu'une expression de cette hypertrophie de la machine; le pays s'est donné à la machine, — machine à extraire et à transformer le charbon, machine à forger l'acier; la nation est une machine à faire des enfants, l'état est une machine à vaincre — le pays n'est plus qu'un désert dont la machine suprême, la machine Hitler , pompe les activités et la conscience. De poètes, de peintres, de musiciens, il n'y en a plus, et les savants sont des contremaîtres.
   Est-ce dans le domaine de la politique que ce peuple «monterait»? Sous Bismarck, il était devenu la première puissance du continent; tel était le fruit d'une politique sans scrupule, mais habile. Mais il semble dit que ces réussites cyniques de l'Allemagne, elle se charge toujours elle-même d'en préparer la ruine. Après Bismarck vient Guillaume II, comme après le Hitler de la rive gauche du Rhin, de l'Anschluss et de Munich vient le Hitler du coup sur Prague et de la guerre polonaise. Deux fois l'Allemagne a triomphé, a semblé avoir conquis l'hégémonie : une première fois, la mégalomanie puérile de l'empereur et du clan Tirpitz-Holstein finit par coaliser contre elle la moitié de l'Europe; une deuxième fois, le coup de dés du joueur forcené qui ne veut pas quitter la table vient remettre en question le butin colossal amassé sans perdre une vie allemande, Rhénanie, Autriche, Tchécoslovaquie. Le jeune Empire fondé à Versailles à ramené l'Allemagne à Versailles par le chemin de toutes les fautes, et la seconde Nemesis qui l'a déjà précipitée dans la guerre — cette guerre contre le bloc franco-anglais que Main Kampf considérait comme une folie — va l'abaisser plus profondément qu'elle ne le fut jamais. Ce «peuple qui monte» est le peuple qui a deux fois causé la ruine de l'Europe et deux fois, comme conclusion d'une politique sans issue, s'est jeté dans l'abîme d'une guerre désespérée. Cependant, pour les élégants philosophes de l'histoire que je citais tantôt, c'est le Reich qui représente la jeunesse et l'avenir, le Reich de la dictature guerrière, des universités désertées, des artistes bafoués et proscrits, des camps de concentration, des parjures amoncelés, le Reich des deux guerres et des deux ruines. La République française, surgie du désastre de Sedan, achève en cinquante ans son empire colonial, — Madagascar, la Tunisie, le Soudan, le Congo, Djibouti, l'Indo-Chine, le Maroc. Elle fait Verdun et les deux Marne. Elle reprend justement l'Alsace-Lorraine. Sa longue administration pacifique, peut-être indolente, peut-être imprudente, laisse en tous les cas s'épanouir librement cette floraison : Manet, Monet, Degas; Debussy, Ravel; Verlaine, Mallarmé, Rimbaud, et ces derniers venus dont un adversaire du régime, M. Thierry Maulnier, soutient avec une audace à peine paradoxale qu'ils ont porté à son plus haut sommet la poésie française : Apollinaire, Valéry, Claudel. Mais la France, n'est-ce pas, c'est la décadence.
   Décadent, le pays de la beauté de vivre et de la juste aversion pour la guerre, — peut-être, aux yeux de ceux qui confondent la force et la brutalité. Mais déchu, sans aucun doute, si notre idée de la hiérarchie des civilisations conserve quelque valeur, déchu jusqu'à l'échelon de la peuplade sauvage, cet empire qui fait de l'escroquerie et de l'extorsion le système des finances publiques, — qu'on se rappelle la confiscation des biens juifs, qu'on se rappelle le coup de la voiture populaire, pour laquelle les ouvriers allemands versaient des acomptes mensuels, y compris la prime d'assurance anticipée! et qui ne fut jamais livrée —; déchu, ce peuple qu'un chef de bande entraîne à la razzia sur l'encaisse-or de Prague ou sur le stock de pétrole du Danemark. On dira qu'il n'y a guère déchéance depuis vingt siècles, on citera le Germani ad praedam. Mais, dans l'intervalle, il y a eu toute l'Allemagne. Des hauts lieux de la musique et de la philosophie jusqu'à cet étiage où la horde primitive se rue au butin derrière le maître des ruses et des terreurs, telle fut en soixante ans la course à l'abîme du «peuple qui monte».

DYNAMISME…

Mais, dira-t-on, ce n'est pas un bilan de valeurs accomplies ou disparues qui nous importe; c'est l'avenir. Et ce n'est pas non plus le résultat d'une politique qui compte; au contraire, le malheur de l'Allemagne, même mérité, est fait pour lui valoir les sympathies de la jeunesse, — parce que la jeunesse aime à se dépenser pour ce qui est dépossédé, même justement; pour ce qui est vaincu, même par ses fautes. Un peuple à terre rejette toutes les lois et tous les préjugés, se relève en force, et, dans un effort athlétique, fait s'écrouler les piliers de sa prison. Voilà l'image; elle peut enthousiasmer de jeunes esprits généreux. On aide cette image par un mot affreux, mais qui pourrait bien rester comme le personnage régnant de notre vocabulaire actuel, le mot dynamisme. D'une part le penchant inné des jeunes pour les déshérités et les révoltés, de l'autre leur ardeur pour le mouvement. C'est là-dessus que l'on compte pour enflammer les générations nouvelles d'un enthousiasme hitlérien, comparable à celui qui fit autrefois brûler pour Napoléon le jeune Julien Sorel comme le jeune lord Byron.
   Mais comparaison n'est pas raison. La révolution hitlérienne n'est pas un de ces sursauts de l'esprit de jeunesse contre un passé alourdi, une de ces délivrances à qui l'on pardonne leurs excès ou leurs échecs à cause de leurs aspirations idéales. Le dynamisme hitlérien n'est pas celui des guerres d'Italie; et, bien que le peu sportif Adolphe Hitler, à peine débarrassé de sa gabardine pour essayer des vestons blancs de steward, se soit servi de l'esprit olympique comme il se sert de toute chose exploitable, ce dynamisme est bien étranger aux mouvements harmonieux des dieux du stade. Le dynamisme de l'expédition sur la Norvège, c'est celui d'une voiture de gangster fonçant dans une vitrine de bijouterie. Des jeunes gens, au cinéma, ne pourront s'empêcher de tressaillir à pareil choc. Je doute cependant qu'ils fassent d'un pareil exploit un idéal de vie.

JEUNESSE «SURMORALE», ALLEMAGNE IMMORALE

Ce qui tente la jeunesse dans une révolution, c'est la remise en question des vérités héritées. La jeunesse ne se fie pas facilement aux catéchismes tout faits, somme d'expérience, recueil de recettes pratiques accumulées par les générations. Un instinct de dépense de ses forces pousse la jeunesse à éprouver par elle-même toutes les lois avant de les reconnaître; elle n'admet pas que le feu brûle qu'elle ne s'y soit brûlée; elle veut refaire pour son compte le péché originel avant de croire au paradis perdu. Elle trouve, dans ce risque qu'elle recherche, un luxe et une volupté, ce haut orgueil de «vivre dangereusement» qu'enseignait Nietzsche. C'est en ce sens que la jeunesse n'est pas morale. Elle ne reconnaît pas la morale acquise parce qu'elle ambitionne d'en expérimenter et d'en découvrir une neuve.
   Hitler connaît et reconnaît les lois morales, les conventions admises, les antiques commandements des catéchismes de toutes les races. Il base sur eux ses «actions». Le respect de la foi jurée est une règle d'une solidité plusieurs fois millénaire; c'est grâce à cela qu'on pourra tromper l'Europe par un engagement solennel. C'est dans la mesure où il est utile de les transgresser, ce n'est pas pour les remettre en question et les recréer au prix de sa propre épreuve, que Hitler abolit les vieilles lois humaines. Cette utilité calculée, si opposée à la gratuité généreuse des révoltes de jeunes, caractérise chacune de ses entreprises contre les conventions ou les traités. Une connaissance profonde de la confiance que ses partenaires ont mise dans la «loi des parties» lui permet de prévoir la durée de leur aveuglement, la lenteur de leurs réactions. Il ne brave aucune force mise en garde, il n'affronte aucune résistance éveillée. L'économie des risques et la ruse : ce sont les procédés de chasse de cet aventurier qui semble avoir vécu, en ces vingt années de lutte, plusieurs rières d'homme; ce sont les procédés d'une vieillesse cynique, et non pas les imprudences d'une jeunesse révoltée, éperdue du désir de risquer, de redécouvrir et de s'exposer.
   Maintenant le nazisme a épuisé sa courte malice; ayant reconnu que la parole donnée était une monnaie commode, il a fait de la fausse monnaie; c'est la puérilité bien connue des criminels, ce n'est pas la jeunesse. Puérilité ; car la fausse monnaie ne passe qu'une fois, et la vie d'un peuple est longue pour expier cette faute imbécile. Maintenant, c'est l'épisode dernier du fait-divers : le corps-à-corps avec les gendarmes. Dynamisme? Dynamisme des coups de pied bas, dynamisme des Scarface et des Chéri-Bibi... C'est d'un autre allant, c'est d'une autre révolte, je l'espère, que la jeunesse est éprise.

LA PAIX BLANCHE N'EST PAS «JEUNE»

Elle sait bien, d'ailleurs. ce que représenterait pour elle — s'il était possible d'imaginer cette chose irréalisable — la victoire du faux-monnayeur. Elle sait où est aujourd'hui la jeunesse de Prague et celle de Varsovie. Elle imagine quelle intellectualité l'on respire dans les écoles du troisième Reich. Elle est la jeunesse; elle refuse le nazisme et la mort.
   Et c'est en vain qu'on lui propose, comme une solution facile qui abrégerait les dures épreuves de la guerre, la paix de mis, la paix de fait accompli, qui laisserait à l'Allemagne ses conquêtes et qui, nous dit-on, ne menacerait pas l'Occident, parce qu'il suffirait à celui-ci de se fortifier par un mur Maginot de plus en plus colossal contre l'empire germain d'Orient. Telle est la meilleure perspective d'avenir que nous ouvrent les manifestants pour la paix immédiate : c'est une agonie d'empire romain retranché derrière son limes (ce limes qu'on nous donne comme la grande garantie, en oubliant une seule chose, c'est qu'elle n'a servi à rien et que les barbares l'ont aisément balayée).
   Jeunesse qui voulez vivre et vous accomplir, voilà le rêve européen qu'on fait luire à vos yeux. Nous abandonnerons à l'Allemagne tout ce qui est au delà du Rhin, y compris ce monde si riche et si divers, Bohême, Pologne, Hongrie, Roumanie, que certain chroniqueur tristellaire du Pays réel, professeur d'université, paraît-il, et officier d'état-major, prend comiquement pour l'Eurasie. Pour ne pas tomber sous l'hégémonie de ce formidable état allemand étendu sur cent cinquante millions d'habitants et suzerain de la Russie, nous n'aurions qu'à élever chaque année davantage notre muraille de Chine, épaissir toujours un peu plus nos cuirasses de blindage, approfondir nos abris contre avions, multiplier notre armement, prolonger notre temps de service. Le plan de M. Robert Poulet pour le salut de la civilisation, c'est le «pied de paix renforcé» à perpétuité, et renforcé suivant une incessante progression géométrique, — jusqu'au jour inévitable où notre lassitude, notre goût de vivre autrement qu'en caserne, notre inaptitude à des disciplines militaires éternisées nous pousseraient à quelque défaillance, et où l'on verrait s'écrouler le nouveau limes comme s'écroula celui du bas-empire romain.
   La victoire allemande serait la mort, la paix de fait accomplie ne serait pas la vie. La vie, c'est la guérison de l'Europe. Il faut que l'Allemagne change, et pour cela qu'elle expie. Il faut qu'elle soit maintenue en tutelle jusqu'à ce qu'elle ait assez évolué pour prendre sa place dans une fédération de ses vainqueurs. Pour cela, il faut d'abord qu'elle soit vaincue.

POUR SORTIR D'EXIL

En 1914, la jeunesse belge avait son devoir tracé. Le devoir de 1940 n'est pas essentiellement différent. La situation politique et militaire exempte aujourd'hui les jeunes Belges de participer par les armes à la victoire sur l'Allemagne. Cette victoire, cependant, ils la favoriseront de toute leur action morale, de toute leur ardente volonté, — quand ce ne serait que pour qu'au jour où elle triomphera comme un printemps dans le ciel de la France, ils ne se sentent pas à jamais exilés de cette victoire qui les aura sauvés, exilés de ce ciel qui est le nôtre, exilés d'eux-mêmes, exilés comme nous le sommes dans le long hiver de notre neutralité.

[1] Ce texte a été publié en 1940 par Les Amitiés françaises des Jeunes.

 

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