Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.









Ce passage est extrait du livre à paraître en février 2012 : Eustache de La Fosse, Voyage sur la Côte occidentale de l’Afrique (1479-1481), Texte traduit du moyen français, présenté et annoté par J.-F. Kosta-Théfaine, Paris, Editions Cartouche.

 
D’UN REMÈDE CONTRE LA LÈPRE DÉCRIT PAR LE MARCHAND FLAMAND EUSTACHE DE LA FOSSE DANS SON VOYAGE SUR LA CÔTE OCCIDENTALE DE L’AFRIQUE (1479-1481)
TRADUCTION EN FRANÇAIS MODERNE PAR JEAN-FRANÇOIS KOSTA-THÉFAINE

Eustache de La Fosse est un marchand flamand, originaire de la ville de Tournai, au sujet duquel nous ne disposons que de peu d’informations. Il s’embarque à Bruges en 1479 pour n’y revenir, sain et sauf, qu’au début de l’année 1481.
   Son voyage, dont l’aspect purement commercial est affirmé dans le texte, le conduira à passer par les Îles Canaries, le Rio de Oro, le Cap Blanc, le Cap Vert, la Sierra Leone, ainsi que l’Île de la Maniguette, avant d’atteindre sa destination finale qu’est Elmina.
   Mais à peine est-il arrivé que quatre navires portugais assaillent son bateau, le prennent et le pillent. Prisonnier des Portugais, Eustache de la Fosse est ramené au Portugal afin d’y être jugé. Une fois le jugement prononcé, il fait appel de la sentence mais, sans attendre le nouveau verdict et prévoyant très certainement une issue défavorable, il s’échappe et gagne le territoire espagnol, reprenant alors le cours de ses aventures.
   L’épisode qui suit se déroule lors de son séjour dans les Îles du Cap Vert.

                                                 – J.-F. Kosta-Théfaine


Nous arrivâmes, peu de temps après, aux îles qui se trouvent en face du Cap Vert, duquel nous avons déjà parlé précédemment. Ces îles sont au nombre de dix, mais il n’y en a qu’une qui est habitée. Dans ces îles, une personne souffrant de la lèpre y guérit en l’espace de deux années. Nous fûmes, par la suite, sur l’une des ces îles inhabitées. Il s’y trouvait deux hommes lépreux venus pour se soigner. Je ne leur parlai pas, car ils se trouvaient à l’autre extrémité de l’île et que je ne m’éloignai pas d’où je me trouvai. Nous péchâmes une grande quantité de poissons en deux ou trois jours, cela à tel point que nous eûmes assez à manger durant plus de six semaines. Nous prîmes également une grande tortue que nous mangeâmes et que nous trouvâmes fort bonne.
   Le lépreux guérit grâce à ces tortues : en les mangeant, en s’oignant de leur sang, et en assaisonnant toute leur nourriture de leur graisse. C’est ainsi qu’au bout de deux années ils se trouvent bien purifiés et guéris de leur lèpre. Je me trouvai, par la suite, quand je fus revenu de ce voyage, à Gand où le seigneur Jean de Luxembourg qui, s’y trouvant également et ayant été informé que j’étais allé en ce lieu, fut bien content d’apprendre par moi la manière de guérir. Il s’y rendit alors, séjourna deux années sur l’Île de Santiago[1] et s’en trouva très bien guéri. Mais, alors qu’il se préparait à revenir, la mort le surprit. Il mourut là-bas, comme j’en fus informé par certains de ses serviteurs qui avaient fait le voyage avec lui.
   Revenons maintenant à notre propos : ces tortues sont bien grandes car, avec leurs carapaces, on fait un bien bon et grand pavois[2] afin de se protéger lorsqu’il est nécessaire de combattre. Nous prîmes, comme on l’a dit, tant de poissons que nous eûmes assez à manger jusqu’à ce que nous fûmes arrivés au Portugal. Nous allâmes, tout en pêchant, nous divertir sur l’île et prîmes des petits oiseaux qui n’avaient pas peur de nous, car ils n’avaient jamais vu personne et ne savaient point ce que sont les hommes. Ensuite nous les rôtîmes et les mangeâmes, mais ils avaient un fort goût de gentiane. C’est un endroit où il en pousse, et les petits oiseaux s’en nourrissent. Puis nous allions voir nos marins pêcher le poisson. J’appris là que l’un d’entre eux en avait prit deux avec un seul hameçon. Celui-ci lui traversa la joue, ensuite il en vint un second qui mordit l’hameçon avec tout l’appât. C’est ainsi qu’ils furent pris tous les deux. L’un de nos marins, alors qu’il ouvrait et nettoyait le poisson sur le pont du bateau, laissa tomber son couteau qui n’avait pas de pointe et, aussitôt après, un poisson fut pris. On trouva, en l’ouvrant, le couteau dans son ventre.

Il est une habitude dans ce pays lorsque la mer s’est retirée : de l’herbe pousse sur le sablon et ces grandes tortues vont y paître. Ensuite, les gens de l’île viennent et retournent à l’envers toutes celles qu’ils peuvent trouver. Après cela, ils les tuent et baignent dans leur sang ceux qui sont infectés ou malades de la lèpre. Ils se retrouvent, une fois que le sang a séché, si rigides durant deux ou trois jours qu’ils ne peuvent bouger. Il faut alors les nourrir comme on le ferait avec un jeune oiseau. Ils se trouvent, ensuite, très bien et cela les rétablit. Ils se purifient l’intérieur en mangeant la chair ainsi que la graisse de cette tortue. Ainsi, en continuant ce traitement durant deux années, ils sont, comme je l’ai dit, totalement guéris.

NOTES

[1] C’est la plus grande des îles du Cap Vert.
[2] Grand bouclier ovale ou rectangulaire.

Copyright © Jean-François Kosta-Théfaine, 2012
Copyright © Bon-A-Tirer, pour la diffusion en ligne

 

Pour retourner à la page d'accueil, cliquez ici.Pour consulter le sommaire du volume en cours, cliquez ici.Pour connaître les auteurs publiés dans bon-a-tirer, cliquez ici.Pour lire les textes des autres volumes de bon-a-tirer, cliquez ici.Si vous voulez connaître nos sponsors, cliquez ici.Pour nous contacter, cliquez ici.

Pour retourner à la page d'accueil, cliquez ici.