Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits commandés spécialement pour le Web à des écrivains actuels principalement de langue française.







 
LE JOUR OÙ J'AI COMMENCÉ À FILMER



J'ai fait des courts métrages d'un soir, des courts métrages d'un jour ou d'une semaine. Le premier date de 1978, peut-être avant, 1976, 1977 (quel âge vous me donneriez sur la photo?). Il fut décidé dans la chaleur d'une soirée, pas même arrosée (je ne me souviens pas que nous buvions beaucoup à cette époque, quoique quelques pichets de rosé au restaurant, dans la petite pizzeria que nous fréquentions près de la place Saint-Sulpice). Le film s'appelait Les dents de l'affaire un pastiche de film d'horreur, le titre parodiant un grand succès du moment Les dents de la mer. Tous les protagonistes exerçaient une profession respectable le jour pour se transformer en vampires à la faveur de la nuit. L'ensemble était sommaire, improvisé, nous avions décidé de faire le film à la fin du dîner dans la cuisine de la rue des Tournelles, et nous l'avions terminé à la fin de la soirée (écriture du scénario, préparation, repérage, maquillage et tournage, tout cela bouclé dans la même soirée). Nous ne disposions que d'une seule bobine de super-huit. Je devais avoir dix-huit ou dix-neuf ans, et je jouais, c'était mon premier rôle, le rôle d'un épicier-vampire.



Le deuxième court-métrage que je fis, plus long, plus ambitieux, avec un semblant de chef-opérateur et davantage de lumière (et peut-être même deux jours de tournage, dont un au point du jour sur le boulevard Beaumarchais), était également un film d'horreur, qui témoignait, rétrospectivement, c'est spectaculaire — on peut m'attribuer le scénario sans hésiter — d'une phobie viscérale du téléphone. Allôcauste, voilà le titre, un tueur en série (joué par la caméra) assassinait ses victimes au téléphone. À l'issue de quelques plans de poursuite près de la place de la Bastille un dimanche vers six heures du matin, nous avions demandé à l'épicier arabe de la rue des Tournelles de jouer un petit rôle, à savoir de sortir une arme de sa poche et d'abattre le tueur en fuite, ce qui valait en intertitres, comme dans les films muets, la réplique totalement absurde du détective, une des plus célèbres dans mon panthéon personnel : «Bien joué, inspecteur Épicemard!»

Plus tard, dix ans plus tard, lors de ma première journée de tournage professionnel (c'était la première fois que je mettais les pieds sur un plateau de cinéma), j'ai failli perdre l'équilibre, et, accessoirement, la vie. L'émotion, j'imagine. Nous avions fait construire un praticable dans le gymnase où nous tournions une scène de football en salle pour Monsieur, et j'étais monté gaillardement dessus pour regarder dans l'œilleton de la caméra, comme il se doit pour le metteur en scène. Il me plaît de croire que c'était la première fois que je regardais dans l'œilleton du premier plan du premier film que je tournais, et, tout à mon occupation, tout à ma parfaite concentration, j'ai dit quelque chose à Jean-François Robin, le chef-opérateur, quelque chose de précis en rapport avec l'image, pour régler un détail technique, de cadre ou de lumière, je lui parlais en gardant l'œil à la caméra sans plus m'apercevoir que j'étais sur un praticable à trois ou quatre mètres du sol, et je me suis éloigné de la caméra comme ça, en chute libre, au ralenti dans l'espace, j'étais tellement concentré que j'ai fini ma phrase en tombant dans le vide avant de m'écraser sur le sol à la grande surprise de l'équipe technique qui découvrait pour la première fois son nouveau (et prometteur) metteur en scène…

photo La Patinoire(1999)

Pas le contraire de ça, en somme…

 

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