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HISTOIRE D'UN FAIT DIVERS, DU MARQUIS DE SADE À CHARLES HUGO

Parmi les faits divers retenus au XVIIIe siècle par l'avocat Gayot de Pitaval dans sa compilation des Causes célèbres, aucun n'a connu un retentissement comparable à celui du meurtre, le 17 mai 1667, de l'infortunée marquise de Ganges, assassinée par ses beaux-frères avec la complicité de son mari. Du XVIIe siècle à nos jours, relations, poèmes, récits, pièces de théâtre et romans ont rapporté son martyre, tantôt avec la sécheresse des comptes rendus judiciaires, tantôt avec le pathétique et un goût de l'atroce propres au roman noir et au roman-feuilleton. Depuis le début du XIXe siècle, trois auteurs – dont deux au moins sont célèbres – ont consacré à l'affaire des récits circonstanciés.

Le premier n'est autre que le "divin marquis", séduit, tout à la fin de sa carrière, par cette histoire atroce. Si la conduite de Sade n'est pas celle d'un bourgeois rangé, elle est loin d'être aussi monstrueuse que l'a longtemps prétendu sa légende. C'est qu'on lui attribuait volontiers les horreurs commises par ses personnages, alors que lui-même protestait contre cette identification. Le 20 février 1781, il écrivait à sa femme: "Oui, je suis un libertin, je l'avoue, j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et je ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier"(1).
   Conçu: le mot a son importance à une époque où le marquis n'a encore composé aucun de ses grands textes scandaleux. Son œuvre est le produit d'un imaginaire exaspéré dans un univers carcéral et d'une philosophie matérialiste et athée, non le compte rendu de ses exploits. Il y a du reste dans cette œuvre deux orientations. La première, qui a longtemps occulté la seconde, donne naissance aux textes lucifériens, aux développements d'une philosophie destructrice, aux fantasmes obsessionnels de férocité et de violence, aux provocations furibondes et subversives qui séduiront les décadents, Guillaume Apollinaire et les surréalistes. Ici flamboient Justine, Les cent vingt journées de Sodome, La philosophie dans le boudoir, ouvrages anonymes, littérature agressive qui exclut du monde, par sa démesure et son excès, le prisonnier de la Bastille et de Charenton. La seconde orientation comprend des textes avoués qui visent au contraire à faire de Sade un homme de lettres intégré à une société qui le rejette : le Dialogue entre un prêtre et un moribond est un entretien philosophique, Les crimes de l'amour un recueil de nouvelles tragiques sans doute, mais exemptes des scènes terrifiantes qui ont fait la renommée de Sade, de même d'ailleurs que son théâtre ou ses romans historiques. Si les fantasmes sadiens ne sont pas absents de cette seconde catégorie de récits, du moins s'expriment-ils sans la violence radicale, hallucinante, de son œuvre érotique et pornographique.
   Ce que les textes ésotériques disent avec une brutalité sans détours, les onze récits des Crimes de l'amour, "nouvelles héroïques et tragiques", le disent avec une discrétion imposée par une œuvre publiée ouvertement. Or, si la description des scènes sexuelles et de torture ou la victoire finale du crime disparaissent ici, les sujets n'ont rien d'innocent. Dans Miss Henriette Stralson, l'héroïne est victime d'un débauché; dans Ernestine, le comte Oxtiern fait condamner à tort un jeune homme, viole sa fiancée au moment même de l'exécution et la fait assassiner par son père qui, abusé, croyait la venger; dans Eugénie de Franval, un libertin amant de sa fille conduit celle-ci à empoisonner sa mère; dans Florville et Courval, une femme finit par découvrir qu'elle a épousé son père, fait exécuter sa mère, eu de son frère un fils qu'elle a tué elle-même parce que, ignorant leur-parenté, il l'a violée… Sans doute l'auteur ne se fait-il pas l'apologiste du mal : les criminels expient, mais la prédilection pour la transgression demeure. Les obsessions des textes ésotériques sont bien là, exprimées autrement(2).
   Sade justifiait l'adjectif héroïques de son sous-titre. Les nouvelles le sont en effet dans la mesure où elles montrent, confrontée au vice, la résistance, même vaine, de la vertu. Mais si Marmontel ou Baculard d'Arnaud concentraient les feux sur la vertu triomphante, Sade s'attarde sur le vice. C'était bien, selon lui, une forme de morale. Dans une préface prévue pour ses nouvelles, il disait: "Qui se flattera d'ailleurs dans un genre comme celui-ci de faire ressortir la vertu, quand les traits du vice qui l'entoure ne seront pas fortement prononcés?" (O.C., t. V, p. 499.) Citant Phèdre et Britannicus, le Mahomet de Voltaire ou les romans de Richardson, il reprenait la même argumentation pour se justifier d'avoir mis en scène tant de scélérats:

Car enfin, quels sont les deux principaux ressorts de l'art dramatique? Tous les bons auteurs ne nous ont-ils pas dit que c'était la terreur et la pitié? Or, d'où peut naître la terreur, si ce n'est des tableaux du crime triomphant, et d'où naît la pitié, si ce n'est de ceux de la vertu malheureuse? (O.C., t. X, p. 510.)

Alors que, chez Baculard, évanouissements et sanglots traduisent sensibilité et dolorisme et que cimetières, sombres châteaux ou églises sont le décor de scènes outrées, Sade se soucie moins de ces éléments extérieurs à l'action que de situations dramatiques exceptionnelles où le tragique procède de l'action elle-même.
   Ce type de récit n'était pas neuf et dérivait des "histoires tragiques" déjà connues du Moyen Âge avec, au XIIIe siècle, La Châtelaine de Vergi ou le Roman du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel. On en trouvait aussi dans les Histoires de Bandello, traduites au XVIe siècle par Boaistuau et Belleforest. En 1614, François de Rosset avait donné des Histoires tragiques de notre temps, fréquemment rééditées jusqu'au XVIIIe siècle, où foisonnaient meurtres, parricides et fratricides, vengeances et incestes, et déjà il s'intéressait à des caractères sortant de l'ordinaire, fût-ce dans le mal et le crime. De 1620 à 1644, l'évêque Jean-Pierre Camus fut à son tour grand producteur de romans et nouvelles tragiques dont on retrouverait le ton jusque dans les Chroniques italiennes de Stendhal.
   La Marquise de Gange prend place dans cette catégorie. Ce roman, le dernier publié du vivant de Sade, parut sans nom d'auteur en 1813 à Paris, en deux petits volumes. On n'a guère de renseignements sur la composition, qui doit se situer entre le printemps 1807 et l'automne 1812(3).
   Cette fois, Sade n'inventait rien, puisqu'il se bornait à développer un fait divers dont il avait lu le récit dans les Causes célèbres et intéressantes, où Gayot de Pitaval avait rassemblé en vingt volumes, de 1734 à 1743, un grand nombre d'histoires authentiques ayant donné lieu à des procès fameux(4).
   On y exposait la tragique destinée de Diane-Élisabeth de Rossan, marquise de Ganges. Mariée à treize ans au marquis de Castellane, elle fut présentée à la cour, où on l'appelait "la belle Provençale", et eut l'honneur de retenir l'attention du jeune Louis XIV. Veuve, elle se retira dans un couvent, puis accepta d'épouser le marquis de Ganges, "fier, fantasque, défiant et jaloux", dont elle eut un fils et une fille. Au bout de quelques années, l'abbé et le chevalier de Ganges vinrent demeurer avec leur frère aîné. L'abbé, qui n'était pas encore dans les ordres, s'éprit de la marquise, mais elle repoussa ses avances et bientôt aussi celles du chevalier. Dans l'espoir de la faire céder en l'éloignant de son mari, l'abbé réveilla la jalousie du marquis, qui "maltraita sa femme". Dès lors, la haine emporta les deux frères, qui tentèrent une première fois d'assassiner leur belle-sœur en lui servant une crème empoisonnée. À quelque temps de là, Mme de Ganges fit un important héritage et, méfiante, rédigea un testament qui faisait de sa mère son héritière, à charge pour elle de transmettre un jour ses biens à ses enfants, et fit une déclaration publique par laquelle elle révoquait d'avance tout testament ultérieur.
   La cupidité s'unissait maintenant à la haine. Le marquis séjournant à Avignon pour ses affaires, l'abbé et le chevalier extorquent à la marquise un nouveau testament en faveur de son mari, mais en négligeant de lui faire rétracter sa déclaration publique. Restait à se débarrasser d'elle. Le 17 mai 1667, ils tentent de l'empoisonner avec une médecine dont le goût lui paraît suspect et qu'elle refuse. Ils pénètrent alors dans sa chambre et lui donnent à choisir entre le poison, l'épée et le pistolet. Terrifiée, la jeune femme fait mine d'avaler le poison, demande un confesseur, le vicaire Perrette, en réalité complice des deux frères. Elle profite d'un moment d'inattention pour sauter par la fenêtre, se fait vomir en enfonçant sa tresse de cheveux dans sa gorge et se réfugie dans une maison voisine. Le propriétaire est absent, mais il s'y trouve plusieurs femmes. Le chevalier l'y rejoint, la frappe de deux coups d'épée et, tandis qu'elle essaie de fuir, lui en porte encore cinq et l'épée se rompt dans l'épaule de la malheureuse. Comme on appelle un chirurgien, l'abbé, comprenant qu'elle n'est pas morte, entre à son tour, veut l'abattre d'un coup de pistolet. L'arme ne fonctionne pas et il tente alors de lui casser la tête avec la crosse, mais les femmes de la maison se jettent sur lui. L'affaire était manquée et les deux coquins prirent la fuite. Averti, le marquis revint sans hâte d'Avignon et essaya en vain d'obtenir de sa femme la rétractation de sa déclaration concernant son testament. Mme de Ganges mourut dix-neuf jours après les faits, non de ses blessures, mais des effets du poison. Sa mère porta plainte devant le parlement de Toulouse qui rendit son arrêt le 21 août 1667: l'abbé et le chevalier étaient condamnés à la roue, le vicaire Perrette aux galères, le marquis – soupçonné de complicité mais contre qui on n'avait pu rassembler de preuves suffisantes – à être dégradé de sa noblesse, à la confiscation de ses biens et au bannissement perpétuel. Selon Gayot de Pitaval, aucune de ces peines ne fut appliquée. Le vicaire mourut avant d'arriver aux galères, le marquis et le chevalier se mirent au service de Venise et furent tués au siège de Candie, devant les Turcs. Quant à l'abbé, il se fit appeler M. de la Martelière, embrassa le protestantisme et passa en Hollande, où il devint précepteur du fils du comte de la Lippe. Épris d'une demoiselle alliée à la comtesse, il révéla sa véritable identité et échappa de peu à l'arrestation. Retiré à Amsterdam, il y épousa en secret la jeune femme, se fit maître de langues et, admis dans le Consistoire des protestants, "mourut quelque temps après en bonne odeur".
   Une victime innocente, un climat d'érotisme, le meurtre: il y avait dans cette épouvantable affaire de quoi faire un roman terrifiant et divers auteurs s'en étaient du reste emparés. Dès 1667, à l'époque des faits, avaient paru une brochure intitulée Les véritables et principales circonstances de la mort déplorable de Mme la marquise de Ganges et un poème de Jacques Grille, L'ombre d'Amaranthe ou le retour de Mme de Ganges qui parle à son mari dans sa prison(5). On retrouve l'épisode en 1676 dans l'anonyme Récit de la mort tragique de la marquise de Ganges, puis en 1685, sous la plume de François de Rosset, dans ses Histoires tragiques de notre temps. Il reparaît en 1704 dans des Lettres historiques et galantes, où Mme Anne-Marguerite Dunoyer – dont la fille, Pimpette, fut le premier amour du jeune Voltaire – apportait quelques détails sur le séjour de l'abbé en Hollande et même sur le marquis, qu'elle assurait avoir rencontré après sa condamnation. Sade connaissait ces Lettres et les utilisa pour ses nouvelles (O. C., t. X, p. 502). En 1772, les faits inspirent encore à Gilbert une héroïde, La Marquise de Ganges à sa mère, et, en mars 1776, Willemain d'Abancourt publie dans le Mercure une Lettre de Marie de Rossan, marquise de Ganges, à sa mère. Enfin, en 1810, trois ans seulement avant Sade, l'érudit avignonnais Fortia d'Urban, un descendant de la victime, donne son Histoire de la marquise de Ganges, qui utilise les récits antérieurs, mais produit les pièces justificatives et retrace le sort des deux enfants de la marquise(6). Sade ne manquait donc pas de prédécesseurs, mais son propre récit s'inspire directement des Causes célèbres de Gayot de Pitaval, envers qui il reconnaît sa dette dès les premières lignes de sa préface.
   Sade a beau écrire: "Ce n'est point un roman que nous offrons ici", il ne s'est pas privé, prétendant disposer d'informations inédites, de développer les données de l'affaire. C'est qu'il entend s'autoriser des droits de l'écrivain, invoqués dans la préface d'Isabelle de Bavière: "L'historien doit dire et ne rien créer, tandis que le romancier peut, s'il le veut, ne dire que ce qu'il crée" (O.C., t. XV, p. 250-251).
   Passe pour divers détails: Ganges est écrit Gange(7) et l'héroïne se nomme, non plus Diane-Élisabeth mais Euphrasie. Sade étoffe la matière en évoquant la cour de Louis XIV et le château de Ganges, insère un rappel de la Laure de Pétrarque, sa lointaine aïeule, décrit la Provence, Avignon, Aix, la foire de Beaucaire. Mais son intervention ne s'arrête pas là. On observe bientôt la considérable amplification de l'anecdote, le foisonnement des épisodes, la multiplication des péripéties, qui transforment en roman de dimensions respectables le compte rendu de Gayot de Pitaval. Sans redouter l'imbroglio propre au roman noir, Sade file une intrigue complexe, où ne manquent ni les fausses lettres et les faux aveux, ni les déguisements et les situations dramatiques. Ce n'est que dans le dernier chapitre que soudain il presse le mouvement pour conter la journée du crime en suivant de près le récit des Causes célèbres.
   Il introduit aussi nombre de personnages secondaires qui lui permettent de compliquer l'histoire. Une Mlle de Roquefeuille sert à éveiller la jalousie du marquis, un comte de Villefranche à susciter celle de la marquise; un bon religieux, le P. Eusèbe, est écarté par les soins de l'abbé; d'honnêtes domestiques, Rose et Victor, aident Mme de Ganges dans sa fuite; un brigand, Deschamps, vient faire passer un frisson de terreur. Divers épisodes sont le produit d'une imagination galopante qui jette la malheureuse marquise d'épreuve en épreuve. Elle accorde sa confiance à la perverse Mme de Donis, qui cherche à la perdre; devenue la proie de ses ravisseurs, elle est menacée d'être expédiée en Afrique comme esclave; on la relègue dans une maison close où l'on convoque un commissaire chargé de faire un constat qui ruinera sa réputation; elle est enlevée par deux libertins qui veulent abuser d'elle avant de la livrer à l'abbé. C'est au point que la vraisemblance en souffre. Ses haïssables persécuteurs lui tendent tant de pièges dans lesquels elle tombe avec une inaltérable candeur qu'on ne comprend guère comment elle peut, jusqu'au moment où ils se disposent à la tuer, leur pardonner et leur faire confiance. Aussi Sade se soucie-t-il moins d'être vraisemblable que de montrer une vertu sans cesse menacée. En réalité, le récit trouve son sens dans le dynamisme conféré par un élément essentiel, la machination, toujours recommencée et de plus en plus compliquée(8). Le même principe rend compte de la prolifération des épisodes, qui se répètent inlassablement en produisant un vertigineux effet de foisonnement.
   Le romancier utilise toutes les ressources du genre pour tenir son lecteur en haleine: drogues, soporifiques, enlèvements, séquestration dans l'inévitable château, lieu par excellence de la transgression et de l'exercice de la volonté de puissance(9), fuite échevelée à travers la forêt hostile au cœur d'un affreux orage. Les scènes à effet ne sont pas oubliées. Mme de Ganges médite devant le sarcophage de marbre noir qui doit un jour recueillir sa dépouille et celle de son mari, à l'ombre "des cyprès et des saules pleureurs", et c'est devant ce mausolée que le marquis fou de jalousie tue le malheureux Villefranche. Le ton est donné d'emblée. La brume épaisse dans le jour déclinant, déchirée par le son lointain des cloches: "Ces sons plaintifs, se mêlant aux cris lugubres des oiseaux de la nuit, achevaient de prêter à ce sombre local tout le pathétique et toute le solennité dont il était susceptible; il semblait que l'on entendît les gémissements de ceux qu'on venait honorer, on eût dit que leurs mânes voltigeaient autour des tombeaux qu'ils entrouvraient pour vous recevoir"(10) (O.C., t. XI, p. 264).
   Sade a fort bien compris que l'âme des scélérats devait être plus noire encore que leurs forfaits. Il a donc mis en place un trio infernal: "Le marquis se prêtait au mal, l'abbé le conseillait et le chevalier l'exécutait" (O.C., t. XII, p. 263). Le pire est l'abbé, coquin méthodique, monstre impitoyable, toujours à machiner les intrigues les plus tortueuses.
   En face des tortionnaires, Mme de Gange incarne la vertu inébranlable, martyrisée et toujours innocente malgré toutes les embûches, indéfectiblement fidèle à ses devoirs d'épouse. Victime désignée par on ne sait quel décret supérieur, elle est en quelque sorte vouée au malheur et à la souffrance, Sade l'annonce dès le début: elle n'est "pas née pour être heureuse", elle est promise à "l'infortune". Le jour même de son arrivée au château de Ganges, elle est impressionnée par le massif et menaçant édifice et lui trouve "quelque chose d'effrayant", et un rêve prémonitoire lui fait bientôt entrevoir son sort. Sinistres présages, souligne le romancier: "Juste ciel! pourquoi les Furies allumèrent-elles leur flambeau à celui de ce tendre hymen, et pourquoi vit-on des serpents souiller de leur poison les branches de myrte que des colombes plaçaient sur la tête de ces infortunés!" (O.C., t. XI, p. 191.)
   Quant à elle, semblable à l'héroïne de Justine, elle s'en remet à Dieu avec une inaltérable confiance: "Divin Sauveur, j'implore ta pitié; tu me préserveras de dangers aussi grands; jamais tes bontés n'abandonneront la vertu faible et malheureuse: ah! tu ne serais plus le vengeur du crime, si tu le laissais triompher sur elle" (O. C., t. XI, p. 338). Peut-être, mais le Ciel ne se hâte pas d'intervenir.
   Sans doute Sade donne-t-il ici – ironie manifeste qui pastiche les tirades moralisantes de Gayot de Pitaval (11) – tous les gages de sa confiance en l'ordre supérieur, condamne expressément les athées et les libertins, célèbre une nature bienveillante et harmonieuse, fait dix fois l'éloge de la religion: "Point de véritable morale sans religion: elle seule l'étaie, la soutient; et comment ne triompherait pas de tous les pièges des hommes celle qui réunit à la crainte d'y succomber l'espoir certain des récompenses dont l'Éternel doit un jour couronner ses vertus?" Plutôt que de croire, comme G. Lély(12), que Sade, pour une fois, a cédé à la sensibilité et aux larmes et renoncé à montrer le triomphe des méchants, on admettra plus volontiers une ironie sardonique, un constant persiflage des valeurs traditionnelles(13). Après s'être défendu d'avoir, "en quoi que ce puisse être, altéré la vérité des faits", il va même jusqu'à modifier radicalement le dénouement. On sait en effet que l'abbé, réfugié en Hollande, y vécut sans être inquiété et sans remords de conscience – conclusion qui ne pouvait que satisfaire l'auteur de La philosophie dans le boudoir, en montrant la vertu foudroyée et le crime triomphant. Dans le roman, au contraire, la justice immanente intervient: un inconnu venge la victime en brûlant la cervelle au scélérat et Sade s'excuse, au nom de la morale, de cette entorse à la réalité.

Il est si pénible d'offrir le crime heureux que si nous ne l'avons pas montré tel [...] c'est dans la vue de plaire aux gens vertueux, qui nous sauront quelque gré de n'avoir pas osé tout dire, quand tout ce qui est ne sert qu'à ébranler l'espoir, si consolant pour la vertu, que ceux qui l'ont persécutée doivent infailliblement l'être à leur tour (0. C., t. XI, p. 188).

Ce propos, introduit dans la préface, trouve son écho dans les dernières lignes du roman, après le récit de l'exécution de l'abbé par le mystérieux vengeur: "Ah! si quelque chose console le malheureux, c'est la certitude où il doit être que la main qui l'écrase subira bientôt le même sort" (O.C., t. XI, p. 389).
   En dépit de cette finale édifiante, il est clair que l'écrivain s'attarde avec complaisance sur les machinations des criminels, à ses yeux les véritables héros de l'aventure. S'il n'y a ici ni sévices, ni tortures, ni viols, la souffrance morale est observée avec délectation par le criminel abbé(14). On retrouve du reste certaines scènes chères à Sade, en particulier celle où la victime dénudée, sans défense, implore le Ciel et ses implacables bourreaux: "Elle tombe en larmes aux pieds de ces barbares: ses mains jointes et tournées vers eux; ce sein d'albâtre, uniquement couvert des beaux cheveux qui flottaient en désordre; ces cris de la terreur et de la pitié, qu'interceptent les sanglots du désespoir; ces pleurs dont elle inonde les armes déjà tournées sur sa gorge…(15)» (O.C., t. XI, p. 379). Si Sade venge la vertu malheureuse, s'il fait appel à Dieu et à la sainte religion, il subvertit en réalité ces thèmes bien-pensants, non moins que dans Justine. Dans la chapelle du château, dominant l'effigie du Christ, se dresse une image de la Vierge qui a les traits de la marquise. La critique ne s'y est pas trompée(16), cette ressemblance est profanatrice, sacrilège: c'est en réalité sur la mère de Dieu que s'acharne Sade l'athée.
   On comprend qu'il ait été fasciné par cet atroce fait divers, par cette histoire de cruauté et de sang où le plus coupable du trio mourait "en bonne odeur". D'autres l'avaient été avant lui, d'autres devraient l'être par la suite. Le 18 novembre 1815, le Théâtre de la Gaîté mit à l'affiche La Marquise de Ganges ou les trois frères, un mélodrame de Jean-Bernard Boirie et Léopold. Cette sanglante histoire, comme celle – non moins fameuse – du Courrier de Lyon, était faite pour les tréteaux du Boulevard du Crime, où défilaient le plus sombres mélodrames, tout gonflés des excès du crime et des larmes de la vertu.
   Elle ne devait pas attirer que les auteurs de théâtre en mal d'effets saisissants. En 1839, toujours à l'affût de recettes à succès, Alexandre Dumas entreprend la publication de la série des Crimes célèbres. C'est là qu'on trouve, entre les Borgia, les Cenci, Marie Stuart et Karl-Ludwig Sand, ce patriote allemand qui avait assassiné en 1819 l'écrivain Kotzebue, agent de la Russie et auteur de brochures antirépublicaines, une nouvelle mouture de l'histoire de la malheureuse marquise. Dumas s'avisa cependant que le sujet était rebattu et entreprit de le renouveler à sa mode en amalgamant les diverses sources à sa disposition(17). Il a bien utilisé, comme il le dit, le texte de Gayot, mais aussi, pour l'essentiel – divers détails le prouvent –, les Causes célèbres et intéressantes rédigées de nouveau, publiées de 1773 à 1788 par François Richer, et le marquis de Ganges devient chez lui, comme chez Richer, non le seigneur de la Tude, mais le sire de Lenide. De même, alors que chez Gayot, le marquis et son frère le chevalier sont tués au siège de Candie, chez Dumas comme chez Richer, seul le chevalier trouve la mort devant les Turcs.
   Pour l'histoire de la marquise, le romancier se borne à mettre en forme, à élaguer quelques longueurs, à supprimer l'enquête, l'histoire du procès et la liste des "présomptions" dressées par la justice contre le marquis. La première scène le montre attentif à créer une atmosphère de mystère et de présage tragique. Gayot rapportait que la marquise, avant son second mariage, avait consulté à Paris un astrologue qui lui avait prédit une mort violente. Cette consultation, rappelée en quelques lignes chez Gayot, occupe chez Dumas plusieurs pages et fait l'objet d'une mise en scène de roman-feuilleton. À la nuit tombée, un carrosse sans armoiries s'arrête devant une maison de sinistre apparence, demeure de la dame Voisin (la célèbre empoisonneuse, dont Dumas a lu l'histoire dans les mêmes Causes célèbres). De la voiture descend une femme: "Sa tête [était] si bien encapuchonnée dans un mantelet de satin noir, qu'il était impossible de distinguer aucun de ses traits"(18). Un escalier sordide, une chambre tendue de noir à peine éclairée d'une lueur "fantastique" par la flamme d'un réchaud, une "devineresse", ou une "sibylle" avare de ses paroles et la prophétie: "Vous vous remarierez, vous mourrez jeune et de mort violente." Pour la suite, l'écrivain se borne à reproduire les données connues, se contentant d'introduire des dialogues, d'améliorer le style et de donner à la narration un rythme plus rapide et plus soutenu.
   Mais il s'agissait pour Dumas de corser sa narration et de relancer l'intérêt au-delà d'un fait divers connu. Alors que Sade s'était attaché à déployer jusqu'au vertige le mécanisme de la machination, à détailler l'assassinat et la punition des coupables, Dumas ajoute, dans un ample épilogue, l'histoire du fils et de la fille des Ganges. Ici non plus, il n'invente rien. Du fils, Alexandre de Ganges, Gayot de Pitaval rapporte une anecdote toute à son honneur. Officier à Metz, il s'est épris de la vertueuse épouse d'un orfèvre protestant. Persécutée par les dragonnades, elle s'offre à lui à condition qu'il la fasse fuir. Le jeune marquis refuse noblement et lui vient en aide. Pour Gayot, c'est l'occasion de saluer la droiture des deux personnages: "Ne doit-on pas admirer la conscience de cette femme, qui se plie à un adultère, plutôt que de changer de religion? […] Admirons la générosité du marquis, dont la morale était bien différente de celle des gens du monde; convenons qu'il avait bien purifié dans ses veines le sang de son père" (p. 310).
   Dumas omet cette anecdote, rapportée aussi par Richer (p. 335) mais qu'il jugeait sans doute banale. Au même Richer, il en emprunte une autre, qui ne figure pas chez Gayot. Selon celle-ci, Alexandre de Ganges a épousé Mlle de Moissac(19), qu'il a installée dans son château où son père, quoique banni, est toléré. Appelé à l'armée, il la laisse aux soins du marquis, qui ne tarde pas à se conduire de manière inquiétante. Sous prétexte de religion, il éloigne une domestique de confiance qui ferait obstacle à ses projets, entoure la jeune femme de prévenances et finit par lui déclarer sa passion. Elle réussit à avertir son mari, qui supplie le roi de faire exécuter l'arrêt de bannissement. Prévenu à temps, le marquis passe en Avignon et se retire à Lisle, petite ville du comté venaissin, non loin de la fontaine de Vaucluse. "Depuis, concluait Richer, on n'a plus entendu parler de lui"(20) (p. 339). Dumas raconte et conclut de même, ajoutant l'indispensable note personnelle, garante de l'authenticité du récit: "Là on le perdit de vue, nul n'en entendit parler, et lorsque moi-même je fis en 1835 un voyage dans le Midi, je recherchai vainement quelques traces de cette mort obscure et inconnue qui suivit une existence si bruyante et si orageuse" (p. 321).
   Non content de rapporter le péril couru par l'épouse du fils, Dumas narre enfin l'histoire de la fille du criminel marquis, Marie-Esprite de Ganges. Elle figurait, sans aucun détail et en quelques lignes, dans les Causes célèbres de Gayot, qui l'empruntait aux Lettres historiques et galantes de Mme Du Noyer :

La fille du marquis de Ganges épousa en première noces le marquis de Perraud qui était plus que septuagénaire, et qui avait été autrefois amant de sa grand-mère qu'il avait failli à épouser. Madame de Perraud fut un modèle de vertu; elle épousa en secondes noces le comte de***, jeune homme très aimable, et quoique ce mariage fût très assorti, elle eut une intrigue amoureuse, selon Madame Du Noyer (p. 308).

Le même récit, un peu plus long, se lit aussi, d'après la même source, chez Richer. Celui-ci rapporte que M. de Perraud, trop âgé pour avoir des enfants, prétendit convaincre son épouse d'accepter les hommages d'un jeune page, proposition qu'elle refusa avec indignation. Veuve, elle épouse le marquis d'Urban, jeune et très amoureux(21). "Cependant, soupire Richer, cette femme, qui avait été un modèle de sagesse, lorsqu'elle avait un vieillard pour époux, devint, si l'on en croit madame Du Noyer, le scandale de son sexe, quand elle fut unie à un mari jeune et aimable" (p. 347-348).
   Sur cette anecdote si brièvement contée, Dumas s'étend avec une visible complaisance, le récit occupant ici une douzaine de pages. Chez lui, le marquis septuagénaire, dépité, fait choix d'un page un peu amoureux de sa jolie maîtresse et promet de le récompenser de ses bons offices en lui achetant un régiment. Hélas, le jeune homme est timide et, lorsqu'il se résout à confesser sa flamme, la vertueuse marquise le repousse. Stimulé par le marquis lui-même, il tente en vain un assaut plus direct: "La marquise alors, repoussant la force par la force, se dégagea des bras du page, s'élança vers la chambre de son mari, et en désordre, les cheveux épars, à moitié nue, plus belle que jamais, elle alla se jeter dans ses bras, lui demandant sa protection" (p. 325). Peine perdue: "Le marquis lui répondit froidement que ce qu'elle disait là était incroyable" (p. 325). Nouvelle tentative quelque temps plus tard, le marquis menant lui-même l'amoureux au lit de son épouse endormie – sans plus de succès. Il lui avoue alors les raisons de sa singulière conduite, sans la persuader d'accéder à ses désirs.
   Veuve, la jeune femme épouse le marquis d'Urban. Hélas, elle ne résiste pas, cette fois, aux avances de l'élégant chevalier de Bouillon, neveu d'un cardinal et libertin sans principes: "Sa vertu, jusqu'alors si farouche, fondit comme la neige aux rayons du soleil de mai" (328). Aussi vaniteux que corrompu, le chevalier s'empresse de publier sa victoire, jusqu'à ce que des amis charitables avertissent le marquis qui manque de justesse de surprendre les coupables. Le même soir, après une orgie, le débauché s'amuse à châtrer le traiteur chez qui il a ripaillé et doit fuir. Quand Mme d'Urban s'aperçoit qu'il a oublié le portrait qu'elle lui a donné en témoignage de tendresse, elle charge un valet de le rattraper. Faisant fort peu de cas du cadeau, l'indélicat séducteur trouve plaisant de clouer l'effigie de sa maîtresse à l'arrière de sa voiture pour l'exposer à la vue de tous, puis la remet au postillon qui retournait en ville en lui conseillant de l'afficher et d'en faire payer la vue! L'aventure fait le bruit qu'on imagine et Mme d'Urban doit s'éloigner quelque temps, avant de revenir, la tête haute, reprendre sa place auprès de son mari. Et Dumas de conclure:

Ainsi finit, non pas la famille de Ganges, mais le bruit que cette famille fit dans le monde. De temps en temps, cependant, le dramaturge ou le romancier exhume la pâle et sanglante figure de la marquise, pour la faire apparaître, soit sur la scène, soit dans un livre; mais à elle presque toujours se borne l'évocation, et beaucoup qui ont écrit sur la mère ne savent pas même ce que sont devenus les enfants. Notre intention a été de combler cette lacune: voilà pourquoi nous avons voulu raconter ce qu'avaient omis nos devanciers et offrir à nos lecteurs ce que leur offre le théâtre, et souvent même le monde, la comédie après le drame (p. 333-334).

La dernière partie du récit est en effet un vaudeville où ne manquent ni le vieillard ridicule et cocu consentant, ni le jaloux berné, ni l'amant caché dans un cabinet de toilette. Curieusement, la narration de Dumas est construite sur une sorte de decrescendo, de dédramatisation progressive du thème. Si la destinée du fils présentait encore un aspect dramatique qui rendait comme un écho de la terrible aventure de sa mère, celle de la fille finit dans le cocasse et le burlesque. Dans une simple adaptation des sources, Dumas propose un prolongement des Causes célèbres, et pense innover et réveiller la curiosité du lecteur en juxtaposant le tragique et le sanglant au comique et au bouffon. L'anecdote est narrée sans souci de la psychologie des personnages ou de leurs motivations: littérature alimentaire cherchant à conférer aux péripéties secondaires un piquant inédit.

   L'histoire de la marquise de Ganges devait enfin retenir l'attention de Charles Hugo, fils aîné de l'auteur des Misérables, qui publie d'abord dans La Presse en 1860, puis en volume, chez Michel Lévy, en 1862, un roman intitulé Une famille tragique, dédié à Paul Meurice. Soucieux lui aussi de renouveler le thème, il ne veut retenir de l'aventure de Diane de Rossan que "le crime qui sert de prologue au roman". Si Alexandre Dumas s'était complu à conter les infidélités de la fille de l'héroïne, Hugo se tourne au contraire vers l'histoire du père et du fils, empruntée à Richer et aux Lettres historiques et galantes, expressément citées.
   Plus ambitieux que Dumas, il entend proposer de l'affaire une interprétation personnelle. À ses yeux, l'intérêt et la convoitise n'ont eu aucune part dans le meurtre de la marquise. "Je n'ignore pas, dit-il, que le sombre héros de cette tragédie fut condamné et flétri comme ayant agi, non par amour, mais par cupidité; cependant, après avoir compulsé des documents précieux envoyés de la petite ville de France qui fut, il y a cent quatre-vingt-treize ans, le théâtre de l'événement, j'ai reconnu que l'obscurité la plus profonde était restée sur ce point"(22). Ce marquis de Ganges, flétri, déshonoré comme l'instigateur d'un crime crapuleux, n'avait-il pas en réalité des mobiles bien différents? J'ai donc voulu, disait Charles Hugo, le montrer "autrement que comme un scélérat vulgaire et donner à son crime une cause plus grande et aussi humaine". Il prétend donc, en analyste des âmes, écrire "un chapitre resté inconnu, mais également historique, de la terrible légende de cette noble et fatale maison". Allant au-devant des critiques, il prévoit qu'on l'accusera d'avoir "promené sur les mœurs du dix-septième siècle le sombre flambeau des énormités eschyliennes". C'est qu'on retient de ce siècle l'image convenue d'un règne éblouissant, alors qu'il recèle d'étonnantes et inquiétantes ténèbres: "Les princes et les duchesses vont en cachette demander des horoscopes et des philtres à la Brinvilliers, à la Voisin, à la Vigoureux, au prêtre Lesage, à l'astrologue Morin, à Bernard et à Exili; les bouquets empoisonnés, les sachets aux parfums meurtriers, les gants hideusement vénéneux, la fameuse poudre de succession" (p. 3). Du reste, s'il se refusait à le croire, le curieux n'aurait "qu'à feuilleter, par exemple, le premier volume des Lettres galantes, de la page 63 à la page 67, [où il] trouverait l'épisode intime, qui a été le germe de ce roman, raconté par un contemporain".
En une soixantaine de pages, Dumas se contentait de ranimer avec quelque brio un fait divers poussiéreux; Charles Hugo donne à son récit les dimensions d'un roman de trois cent cinquante pages. La première scène donne le ton. Le 12 mai 1682, les courtisans remarquent la présence, au solennel coucher du Roi-Soleil, d'un jeune inconnu, appelé le capitaine Christian, soldat de fortune aux origines mystérieuses: "D'où il venait, où il allait, par où il avait passé, autant de secrets entre son ombre et lui. Pourquoi? quand? et comment? Cherchez!" (p. 23). À ses côtés, sa jeune épouse, dont l'auteur trace le portrait attendu: "Rien qu'à considérer son profil délicat, il n'est pas un observateur qui n'eût deviné en elle le modèle accompli de ce qu'on appelait alors une personne de qualité. […] Il y a certaines carnations exceptionnellement pures qui trahissent les éducations nobles et les mœurs aristocratiques. Or la jolie compagne du capitaine Christian était blanche comme le lys et comme l'hermine, c'est-à-dire comme les deux blancheurs les plus patriciennes qu'on connaisse" (p. 25).
   Sa prière achevée, le roi appelle Christian, s'entretient avec lui à voix basse, le jeune homme suppliant qu'on lui accorde la grâce d'un homme depuis quinze ans dégradé de noblesse et banni alors qu'il était – Christian en jurerait – innocent du crime dont on l'accuse. Le souverain rejette sa requête mais autorise Christian, pour le récompenser de sa bravoure, à porter le titre de comte de Cazilhac. À ce début in medias res correspondant à la technique du roman dramatique à la Walter Scott, succède le nécessaire retour en arrière explicatif. Demeuré seul avec Mme de Montespan et malgré sa répugnance, Louis XIV accepte de satisfaire, en même temps que celle du lecteur, la curiosité de la favorite. Sans révéler son nom, il lui apprend qu'une noble dame a été jadis sauvagement assassinée par ses proches: "La haine?… Non, madame, l'amour! Un amour épouvantable! un amour inspiré par elle à trois hommes, à son mari d'abord, et ensuite à ses deux beaux-frères; l'un était abbé, l'autre chevalier, ce fut le marquis, ce fut le mari!" (p. 44). Repoussés par la jeune femme, l'abbé et le chevalier, fous de désir, ont juré sa perte et attisé par des calomnies la jalousie farouche du marquis: "Il l'aimait frénétiquement et doucement, il l'aimait comme un enfant et comme un maître. Il était à la fois pour elle agneau et tigre. […] Il l'aimait trop pour avoir le courage de la tuer lui-même, mais il la livra à l'abbé et au chevalier qui parurent se charger avec une sombre joie de laver dans le sang l'honneur de leur frère outragé" (p. 45-47). Une dernière fois, ils la conjurent de leur céder, "comptant peut-être que, convaincue de l'atrocité de son mari et atterrée du sort qui l'attendait, elle allait préférer ses meurtriers à la mort". En vain. Suit le récit des faits, conforme à la version de Gayot de Pitaval ou de Fortia d'Urban.
   Le drame de Ganges prend ainsi avec Hugo ce qu'il nomme une dimension "eschylienne": des passions irrépressibles et furieuses mènent à un meurtre horrible, mais non sordide, une fatalité maléfique pèse sur des personnages tourmentés, brûlant de jalousie, de haine et de désir incestueux. Si Hugo s'en est tenu jusqu'ici, sauf pour le mobile, aux circonstances désormais bien connues, il s'en écarte délibérément pour la conclusion. Chez lui, l'abbé n'est pas mort paisiblement en Hollande, le chevalier n'a pas été déchiqueté par une bombe au siège de Candie. Comme dans un roman de Dumas ou de Paul Féval, un mystérieux vengeur est intervenu "Quoique l'abbé et le chevalier eussent réussi à s'enfuir, ils n'en ont pas moins payé leur dette au ciel. Tous deux ont été successivement tués en duel par un inconnu, l'abbé d'un coup de pistolet, le chevalier d'un coup d'épée" (p. 59). Quel lecteur un peu familier du roman-feuilleton n'a pas deviné que ce justicier n'est autre que Christian, le fils de la victime, qui a juré de venger sa mère? Ainsi s'achève le "prologue" du roman, qui occupe un sixième de l'ensemble.
   Après cet intermède explicatif, on retrouve Christian et sa jeune épouse, Aline de Moissac. Elle ignore tout du passé de son mari, qui l'emmène à présent au château de Ganges. Un nouveau flash back à la manière de Scott ou de Féval nous conte la scène de leur rencontre, quelques mois plus tôt, dans une église: "Il est nécessaire à la complète clarté de ce drame intime que nous laissions un moment nos deux voyageurs continuer sans nous leur route vers Ganges, pour faire rétrospectivement assister le lecteur à cette scène" (p. 97). Ce lecteur apprend ainsi que Christian a été, dès la première vue, bouleversé par l'étonnante ressemblance d'Aline avec sa mère défunte. Mais qui est le sombre personnage qui l'accompagne, ce M. de Vissec qui se prétend huguenot pour expliquer son souci de n'être pas reconnu, et dit au jeune homme: "Cette ressemblance est trop étrange pour qu'elle ne soit pas fatale. Christian, c'est le fantôme sanglant de votre mère qui revit dans cette inconnue et qui vous attire à lui, non vers le bonheur, mais vers le gouffre" (p. 111). Une rencontre saisissante dans une .église, une prédilection sinistre: les ingrédients du drame sombre et du feuilleton.
   Restait à développer longuement les faits rapportés par Mme Du Noyer et par Richer. Dans le château abandonné, Aline a découvert la terrible "chambre verte" demeurée dans l'état où elle était le jour du crime, elle a exigé des explications, que Christian a enfin consenti à lui donner, tremblant encore à l'évocation de l'horrible scène:

Ce que ces quatre murs ont vu ferait frissonner un marbre!… Tais-toi! ne parle pas! ne crie pas!… l'écho répondrait: au secours!… Voici la place où elle est mise à genoux, devant eux, les implorant! Elle leur a demandé grâce… ici! – là-bas, derrière ce clavecin, elle s'est cachée, demi-nue, désespérée et ses doigts, en se tordant sur les touches, ont arraché un cri d'épouvante à l'harmonie!… Ces chaises, cette table, c'est elle qui les a renversées en fuyant! car ils étaient là, les misérables, qui la poursuivaient et ne lui donnaient à choisir qu'entre la mort et l'inceste! […] Regarde ce crucifix! C'est sur ce crucifix que j'ai juré, moi, de les retrouver - et de la venger! Et, Dieu merci, il a été fait d'eux bonne et loyale justice! Ils ne souillent plus cette terre de leur présence exécrée! (p. 147-149.)

Les coupables n'étaient autres que ses oncles, mais son propre père, innocent, a été injustement accusé, déshonoré, banni. Ce qu'il est devenu? Il est mort, prétend Christian.
   Le lendemain, Aline a trouvé la chambre sanglante remise en ordre et s'y est installée. Le château, désert, n'est habité que par un couple de vieux domestiques tout dévoués à la famille. À l'angle de la bâtisse, une tourelle qu'on dit à demi écroulée et vide depuis des années. Et pourtant: "À qui cette main brusquement jaillie des ténèbres du château dans la clarté du ciel? – À qui cette main dont le bras invisible se perdait dans la muraille et semblait faire corps avec le château?… À quel vivant, prisonnier de la tombe et si muet dans son sépulcre volontaire qu'on ne l'y entendait pas respirer?" (p. 183).
   Rappelé à l'armée, Christian a laissé Aline aux soins du mystérieux M. de Vissec, présenté comme un vieil ami des Ganges. Dans la meilleure tradition du roman noir paraît un homme vêtu de deuil, voûté, cassé, appuyé sur une canne, qui se dit âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, un âge que seul dément son fascinant regard: "Une idée inattendue se dégageait de cette ruine vivante: la puissance. Cet homme brisé et enseveli avait un regard extraordinaire. [...] Cet œil voulait, savait, luttait, dominait tout et jetait une fière provocation aux années, au destin, au monde, au malheur et même au doigt qui devait bientôt le fermer" (p. 193).
   Aline n'a désormais pour société que Brin-de-Mousse, le petit-fils des domestiques, un gamin éveillé et débrouillard, à qui Charles Hugo a donné le bagout d'un Gavroche des campagnes. S'excusant sur son grand âge, Vissec refuse de paraître, mais au fil des semaines se produisent d'étranges changements. Le château reprend vie, on a installé des bancs dans le parc, ratissé les allées ; chaque jour Aline trouve un ruban, un bijou, une robe, des dentelles. Se rendant enfin aux instances de la jeune femme, M. de Vissec s'apprivoise, prend ses repas avec elle, l'accompagne à la promenade, se révèle un délicieux causeur. Elle, charmée de combler sa solitude, s'amuse à le traiter comme un galant, et, mutine, naïvement coquette, flirte sans arrière-pensée avec le vieillard. Elle s'inquiète pourtant: pourquoi, depuis des semaines, n'a-t-elle plus de lettres de Christian? Observant le manège du domestique chargé du courrier, elle finit par comprendre: Vissec intercepte les lettres.
   Intriguée autant qu'effrayée, Aline s'enhardit, comme l'épouse de Barbe-Bleue, à pénétrer dans l'interdite galerie des portraits. Le dernier, couvert d'un crêpe, est celui du marquis de Ganges, en qui elle reconnaît Vissec! Le soir même, celui-ci paraît dans sa chambre. Il n'est plus le vieillard cacochyme et tremblant, mais "un magnifique seigneur" dans la cinquantaine, somptueusement vêtu du même costume d'apparat que l'homme du portrait: "Cependant il était pâle comme un mort. Il semblait n'avoir pas une goutte de sang dans les veines. C'était un spectre de pierreries, un marbre couvert de soie et d'or – don Juan dans la statue" (p. 317). Effrayant et dominateur, il évoque devant Aline pétrifiée son terrible amour de jadis pour la marquise, mais aussi cette ressemblance fatale entre la jeune femme et la morte qu'il a lui-même accentuée en lui faisant porter les parures et les robes de Mme de Ganges, et qui a réveillé et exaspéré sa passion: "Aujourd'hui cette morte que je redemandais à Dieu, elle est vivante, elle est la femme de mon fils – et c'est Satan qui me la rend!" (p. 324). Fou de désir mais reculant devant l'inceste, il ne peut cependant supporter qu'Aline appartienne à un autre et la scène de jadis se répète, le misérable lui offrant le choix entre le fer et le poison. L'action parvenue à son acmè, Hugo la dénoue par un coup de théâtre où le mélodrame confine au grand-guignol:

Au milieu de cette fenêtre, une figure qui ne touchait pas la terre, était debout dans l'air et dans la nuit. C'était un homme avec je ne sais quoi pourtant de surhumain. Un long manteau le couvrait de la tête aux pieds. Une de ses mains tenait une corde et, dressée vers le ciel, semblait avoir le majestueux mouvement du doigt indicateur de l'immensité. L'autre main tenait une épée nue où fulgurait le céleste et démesuré serpent de lumière du glaive archangélesque de l'Eden. […] D'où arrivait-il? – D'en haut, de la nuit, de l'ombre, de l'inconnu, du seuil de la nuée tonnante et des marches d'or du trône de Dieu.
   […] – Marquis de Ganges!… dit Christian, le voile tombe de mes yeux. Un crime prouve l'autre. Vous avez tué ma mère!
   Le marquis de Ganges, en entendant cette condamnation suprême et sans appel, trembla comme si c'eût été le clairon tonnant de la justice éternelle qui eût parlé - et vit que sa dernière heure était venue. Il regarda cependant Christian et – à la fois indigné et écrasé sous cet arrêt prononcé par l'enfant contre le père, comme s'il eût voulu le punir de son audace en se punissant lui-même de son crime et faire de sa mort le châtiment et le remords de son juge – il lâcha son épée et, avec le geste désespéré d'un homme qui se jette dans un gouffre, il se précipita sur l'épée de son fils.
   – Et toi, s'écria-t-il, tu as tué ton père! (p. 333-335.)

Le rideau tombe sur cette finale mélodramatique. Dans sa préface, Charles Hugo avait évoqué les "énormités eschyliennes" et son intention était manifestement d'introduire dans le roman le thème de la fatalité pourchassant inexorablement les héros du théâtre grec. La famille de Ganges devait rappeler celle des Atrides et Christian venge sa mère comme Oreste châtiait Egisthe et Clytemnestre pour le meurtre d'Agamemnon. Mais le caractère monstrueux des criminels et la dépravation de leurs instincts conduisent plutôt à ces sombres histoires de sang et de folie qu'on trouvait déjà dans Le Moine de Lewis ou le Melmoth de Maturin. Hugo refaisait l'éternel roman de la persécution, de l'attendrissante victime et de l'inéluctable justicier. La Famille tragique a paru dans La Presse, et sa technique relève du roman-feuilleton, où chaque chapitre a une fin tout en réclamant une suite, afin de tenir le lecteur en haleine. Le suspens repose classiquement sur la question de savoir si une victime innocente succombera sous les coups de ses persécuteurs. Ici, l'histoire de la marquise se répète à quinze ans de distance, mais la seconde version, à la différence de la première, épargne l'innocente et châtie le criminel. On voit pourquoi Charles Hugo ne pouvait se satisfaire de celle exposée par Richer, selon laquelle le marquis amoureux de sa belle-fille et dénoncé par son fils disparaissait simplement en exil sans laisser de traces. La Famille tragique respecte cette autre loi du feuilleton, le principe manichéen de la lutte impitoyable du bien contre le mal, qui exige un dénouement à la fois plus moral et plus spectaculaire.
   Victor Hugo était fier de ses fils et ne manquait pas une occasion de leur prédire un brillant avenir. Le 15 août 1861, il écrit à Charles: "As-tu fini ton travail? Parions que tu as fait un charmant livre" (XII, 1123). Charles avait alors quelque expérience de la création littéraire, après Le cochon de saint Antoine, conte voltairien (1857), La Bohème dorée et La chaise de paille (1859) et Je vous aime (1861), comédie en un acte. Le 23 janvier 1862, le père encourage le fils: "Travaille, mon Charles bien-aimé. N'oublie pas que tu es un grand esprit et que tu nous dois et que tu me dois, de grandes œuvres" (XII, 1141). Nouvelle exhortation le 2 mai: "Travaille bien. Tu feras ce que tu voudras. Ton siècle est à toi si tu veux…" (XII, 1164). Le 7 juin 1862 enfin, l'homme qui venait d'achever l'un des plus grands romans du siècle écrivait ces lignes qui témoignent de plus d'amour paternel que de lucidité critique:

Sais-tu ce que j'ai fait depuis cinq jours, mon Charles ? J'ai relu la Famille tragique. Entre deux épreuves des Misérables, j'allais à ton cher livre, je l'ouvrais et je m'y baignais l'âme; je m'y reposais de moi dans quelque chose que j'aime plus que moi. Va, mon Charles bien-aimé, sois tranquille, tu n'as qu'à ajouter à des oeuvres comme celle-là un peu plus d'incubation, une préméditation plus obstinée et plus prolongée, et nul n'est au-dessus de toi. Tu as l'âme, qui est la concentration, et le souffle qui est l'expansion. Continue! continue! Telle page de la Famille tragique a la splendeur complète du beau.
   Je voudrais te voir endiablé de toi-même, enivré de ta force, saoulé de ta lumière, possédé de ton esprit. Il ne te manque que cela: avoir ton propre diable au corps. Force ta volonté à t'égaler et tu seras à la hauteur des géants.
   En d'autres termes, lève-toi, et tiens-toi debout. Tu passeras de la tête toute ta génération.
   Courage, mon Charles chéri. Sois de fer pour vouloir comme tu es de bronze pour penser. Oui, je suis heureux, je viens de relire ton livre, je me suis miré en toi, miroir embellissant; j'en aime tout, de ce livre! Fais-m'en bien vite d'autres (XII, 1177).

Trois semaines plus tard, le 30 juin, les dernières parties des Misérables paraissaient simultanément à Bruxelles et à Paris et broyaient de tout leur poids la Famille tragique. Dans sa première œuvre, Le cochon de saint Antoine, Charles avait fait dire à son porc philosophe: "J'ai un affreux nom de famille, […] mais je n'ai pas encore de nom de baptême: donnez-m'en un. Voulez-vous?" (XI, 1818.) Lui aussi tentait l'impossible, mais nul saint Antoine n'était là pour l'aider.
   Pendant deux siècles, la sinistre scène du 17 mai 1667 a donc hanté l'imagination des poètes, des dramaturges et des romanciers et elle continue, de nos jours encore, à travailler celle d'auteurs de biographies romancées ou d'érudits penchés sur les procès du passé(23). Elle a été traitée avec un bonheur inégal, remodelée au gré des morales et des esthétiques. En dépit de son talent de conteur, Dumas n'a donné qu'une nouvelle mouture des Causes célèbres, qu'il suit d'ailleurs de près, et Charles Hugo en visant le tragique n'a atteint qu'au mélodrame. L'un et l'autre ont traité l'histoire de la marquise comme un hors-d'œuvre, un "prologue", préférant s'attarder sur les suites moins connues de la tragédie et bénéficier des commodités du feuilleton. Ni l'un ni l'autre n'ont conféré profondeur ou authenticité à des personnages qui demeurent des marionnettes sans existence propre. Dumas tire parti des données historiques pour délayer à loisir les péripéties et glisser du tragique à la farce sans se soucier d'offusquer la morale bourgeoise. Charles Hugo exploite les principes du roman et même du drame romantique tels que les a développés son père: individus mystérieux, sombre proscrit, lourd secret, personnalités d'emprunt et déguisements, coups de théâtre et dénouement impressionnant assurant le triomphe de la justice vengeresse.
   Quant à Sade, malgré ses déclarations, il a utilisé le fait divers pour montrer une fois de plus la vertu bafouée et, sur le plan narratif, a usé de ses ressorts familiers: prolifération, foisonnement d'épisodes et de personnages, multiplication hallucinante de situations terrifiantes. Seul il a trouvé dans l'histoire de la marquise de Ganges un sujet qui convenait à son génie parce qu'il réveillait ses propres fantasmes, seul il a centré l'intérêt sur l'âme des criminels, leur volonté de puissance et leur passion de faire souffrir l'innocence et sa conclusion édifiante dissimule mal un rictus de dérision à l'intention des belles âmes.


RÉFÉRENCES

   1. Œuvres complètes. Paris, Cercle du Livre précieux, 1966-1967, t. XI, p. 276.
   2. Voir la préface de M. Delon aux Crimes de l'amour. Paris, Gallimard, 1987.
   3. G. Lély, Vie du marquis de Sade. Nouvelle édition. Paris, Pauvert, 1965, p. 623.
   4. Sade s'est inspiré, non de l'Abrégé publié en 1757 par Garsault, mais de la version intégrale de Gayot. Voir J. Sgard, "La littérature des causes célèbres", dans Approches des Lumières. Mélanges offerts à J. Fabre. Paris, Klincksieck, 1974, p. 468-469; J. Proust, "La diction sadienne, à propos de La Marquise de Gange", dans Sade, écrire la crise. Colloque de Cerisy. Paris, Belfond, 1983, p. 45.
   5. Ce texte a été réédité. Voir G. Vidal, L'ombre d'Amaranthe, Montpellier, 1959.
   6. Fortia d'Urban, Histoire de la marquise de Ganges. Paris, Levrault, 1810.
   7. C'était aussi le cas chez Gayot de Pitaval et dans la version revue par François Richer.
   8. B. Didier, Sade, une écriture du désir. Paris, Denoël, 1976, p. 115.
   9. Voir A. Le Brun, Les châteaux de la subversion. Paris, Gallimard, 1986.
   10. Sur les rapports avec le roman noir, voir J. Fabre ("Sade et le roman noir", dans Le marquis de Sade, Paris, A. Colin, 1968, p. 253-278), qui montre que Sade ne doit pas grand-chose à la tradition anglaise.
   11. Qui ne se prive pas de ce genre de commentaires. Voir Causes célèbres et intéressantes. Amsterdam, Châtelain, 1737, t. V, p. 249, 281, 283, 289.
   12. Op. cit., p. 623.
   13. Voir J. Proust, op. cit., p. 34-36.
   14. Voir A. M. Laborde, "La dialectique du regard dans La Marquise de Gange", Romanic review, 60, 1969, p. 47-55.
   15. Même attitude en face de son mari: "Cette femme divine, aux pieds de son époux, les larmes qui ruisselaient le long de ses joues de rose, qu'anime plus le feu qui brûle dans ses veines, cette robe sanglante, qui semble la défendre au lieu de l'inculper; la négligence qu'elle met à s'en revêtir, et qui laisse à découvert un sein d'albâtre, sur lequel flottent en désordre de superbes cheveux, dont une partie s'enlace autour de la plus belle taille du monde; cette vérité qu'exhale l'organe le plus doux; une de ses belles mains levées vers le ciel, serrant de l'autre celles de son mari, cette noble douleur dont l'injustice accable une âme fière qui ne s'abaisse point à se justifier: tout… tout effaçant dans cette femme angélique ce qu'il peut y avoir de terrestre, ne la présente plus aux yeux des mortels que comme la divinité de l'innocence et, de la vertu" (O.C., t. XI, p.274).
   16. J. Proust, op. cit., p. 39.
   17. Il dit avoir consulté la première brochure connue, Les véritables et principales circonstances de la mort déplorable de madame la marquise de Ganges (1667), et le Récit de la mort de madame la marquise de Ganges, ci-devant marquise de Castellane, qu'il donne pour publié à Paris en 1657 (soit dix ans avant les faits!) alors qu'il date de 1676. Il cite aussi les Causes célèbres de Gayot de Pitaval et les Lettres galantes de Mme Desnoyers (sic).
   18. A. Dumas, Les crimes célèbres. Verviers, Marabout, 1982, 2 vol., t. I, p. 271.
   19. Selon Fortia d'Urban (op. cit., p. 171-173), Alexandre de Vissec de la Tude, marquis de Ganges, épousa en 1692 Marguerite de Ginestous, fille du baron de Moissac, et mourut le 12 juin 1713.
   20. Il serait mort à Lisle-en-Venaissain, en 1736, à 99 ans. Voir G. Delayen, La passion de la marquise Diane de Ganges. Paris, Perrin, 1927, p. 207.
   21. Marie-Esprite de Ganges épousa à douze ans et demi Henri de Fay, marquis de Perraud. Bientôt veuve, elle épousa, le 4 mai 1681, Paul de Fortia, marquis d'Urban, et mourut le 6 janvier 1711 (Fortia d'Urban, op. cit., p. 173). On comprend que Fortia d'Urban, descendant de Marie-Esprite, ne rapporte pas les anecdotes scandaleuses colportées sur son aïeule.
   22. Une famille tragique. Paris, Michel Lévy, 1862, p. 1.
   23. V. Aragon, Diane de Joannis, marquise de Ganges. Sa vie, sa mort tragique d'après des documents inédits. Montpellier, 1881; A. Mazel, La première marquise de Ganges. Sa vie, ses malheurs. Paris, Monnerat, 1885; G. Delayen, La passion de la marquise de Ganges. Paris, Perrin, 1927; G. Vidal, L'ombre d'Amaranthe. Montpellier, 1959; R. Gros, L'assassinat de la marquise de Ganges. Montpellier, Cour d'appel, 1968.

 

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